Avec Le Métavers est mort, Charles Perez signe un essai incisif qui explore la fin de l’engouement autour du métavers, tout en décrivant son évolution vers des usages plus pragmatiques et immersifs. Professeur à Paris School of Business et chercheur spécialisé dans les nouveaux médias, l’auteur nous livre une réflexion critique sur ces technologies qui transforment notre quotidien numérique et pédagogique.
Dans cette interview, il revient sur son parcours, les raisons derrière ce titre provocateur, et les perspectives qu’il entrevoit pour un métavers discret, mais porteur d’avenir.
Introduction
Vous êtes professeur à Paris School of Business et auteur du livre Le Métavers est mort. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous, votre parcours académique et votre rôle d’enseignant ?
Je suis chercheur spécialisé dans l’étude des nouveaux médias et des usages émergents du numérique, avec un intérêt particulier pour le métavers. Je m’investis également dans la vulgarisation de ces avancées, en partageant avec mes étudiants les nouvelles pratiques et les enjeux contemporains et futurs. Chaque année, en collaboration avec Karina Sokolova, j’organise un hackathon consacré à la réalité augmentée et un autre à la réalité virtuelle, afin de sensibiliser les futurs managers aux défis et opportunités de ces domaines.
Vous aviez publié en 2022 Le Manuel du Métavers, qui explorait l'impact de cette technologie émergente. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Le Métavers est mort ?
En rédigeant Le Métavers est mort, j’ai cherché à exposer un point de vue plus personnel sur le métavers, ce qui le distingue du Manuel du métavers, conçu pour proposer une approche pédagogique visant à présenter les espaces virtuels immersifs et les technologies associées. Dans Le Métavers est mort, j’offre une réflexion plus intime et critique sur les enjeux actuels ainsi que sur les trajectoires possibles du web et des environnements immersifs.
Le Métavers : définition et évolution
Vous évoquez la "mort" du Métavers. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par "métavers » et par cette "mort" et comment elle se manifeste dans le monde numérique ?
Le métavers peut se définir par l’acronyme VIP, qui renvoie à des mondes Virtuels, Immersifs et Persistants. De mon côté, j’ai une vision plus large. Je le conçois comme une convergence de technologies variées, capables de transformer nos expériences numériques pour les rendre plus naturelles. Toute solution qui renforce l’immersion dans nos actions réalisées via un support digital s’inscrit, selon moi, dans la famille des solutions métaversiques. Je n’exclus donc pas les sites web en trois dimensions, la réalité étendue, les jumeaux numériques ou les applications industrielles et de divertissement. Limiter le métavers à des jeux vidéo comme Fortnite ou Minecraft serait réducteur, même s’ils en sont des exemples marquants.
Aujourd’hui, nous assistons à la fin de l’engouement médiatique initial, qui se caractérise par une forte polarisation et une vague d’articles annonçant sa “mort”. Cela rappelle un article du Daily Mail paru en décembre 2000, dans lequel James Chapman prédisait la mort de l’Internet, alors considéré comme une “mode passagère”. Les raisons avancées à l’époque sont d’ailleurs similaires à celles invoquées pour le métavers aujourd’hui. J’ai profité de cette accalmie pour prendre du recul, écouter les critiques et analyser les véritables enjeux liés à ces technologies. On remarque que de nombreux acteurs travaillant sur les technologies immersives et NFTs continuent de développer leurs solutions de manière plus discrète. Les termes “métavers” et “NFT” semblent épuisés par l’emballement médiatique, et il est peut-être temps de les laisser s’effacer afin de faire émerger autre chose, comme le web immersif.
Plutôt que d’assimiler cette évolution à un échec, vous parlez d’une transformation. Quelles sont les grandes étapes de cette évolution ? En quoi le Métavers ne correspond-il plus aux attentes initiales ?
Plutôt que de considérer cette évolution comme un échec, je la vois comme une transformation naturelle et nécessaire. Elle illustre une progression qui nous fait passer d’un web utilitaire, centralisé et fonctionnel, mais dépourvu de réelle immersion, vers un environnement plus engageant. Aujourd’hui, le web reste souvent cantonné à des interfaces plates, des listes et des formulaires, encadrés par la gestion des cookies et des mots de passe, pratiques mais peu immersifs.
L’objectif est de dépasser ces contraintes afin de construire un web tridimensionnel, mieux adapté à une espèce qui perçoit et interagit en trois dimensions. Nous évoluons vers des expériences plus immersives grâce à des technologies ajoutant des éléments en 3D à la platitude de nos écrans, comme la réalité augmentée, la réalité mixte ou la réalité virtuelle. Amazon propose par exemple des showrooms 3D pour faciliter les achats dans des environnements interactifs, bien loin des listes de produits classiques. Avec Amazon Beyond, des showrooms virtuels comme le Virtual Holiday Shop et le Hogwarts Shop permettent aux clients d’explorer les produits dans des décors personnalisés, conçus pour mettre en valeur leur esthétique et créer une expérience plus attrayante. Les utilisateurs peuvent ainsi cliquer sur un article pour consulter ses caractéristiques et l’ajouter à leur panier, sans interrompre leur exploration.
Le showroom virtuel dédié à l’univers de Poudlard propose une expérience accueillante. Une vaste pièce baignée par la lueur d’un feu de cheminée et éclairée par un chandelier chargé de bougies ouvre sur un ciel étoilé. Ce décor recèle des trésors du monde des sorciers : costumes emblématiques, fanions des maisons de Poudlard, objets décoratifs et accessoires enchantés. Cette mise en scène permet d’acheter la plupart des éléments visibles, qu’il s’agisse de vêtements, d’accessoires ou de pièces de décoration.
La dynamique vers l’immersion est renforcée par l’arrivée imminente de lunettes de réalité augmentée, prévue pour 2025 chez Baidu (Xiaodu AI Glasses), Samsung (Samsung AR Glasses) ou encore Meta (Meta Orion). Plutôt que de marquer la fin du métavers, cette évolution traduit une transition vers une forme plus accessible, adaptée aux attentes des utilisateurs et ouverte à un public bien plus large que les seuls gamers ou professionnels.
Le Métavers dans l'enseignement supérieur
Comment le Métavers peut-il, selon vous, influencer l’enseignement supérieur ? Est-ce un outil qui pourrait transformer nos pratiques pédagogiques à long terme ou est-ce une fausse promesse ?
La promesse du métavers pour l’enseignement supérieur et la formation repose sur une évolution majeure : passer du storytelling, qui transmet le savoir en salle de classe par le récit, au storyliving, qui immerge l’apprenant dans un environnement virtuel et l’amène à apprendre par l’expérience. Cette transition rend l’apprentissage plus concret, immersif et engageant. La différence est aussi marquante que de comparer l’acquisition de stratégies de vente par des concepts théoriques sur papier à une immersion dans une simulation, face à un client potentiel en situation réelle.
Cette approche peut transformer les pratiques pédagogiques, car elle propose des expériences adaptées aux besoins des apprenants et à la complexité des compétences qu’ils doivent acquérir. La réalité virtuelle se distingue par l’incarnation, qui est la sensation d’habiter pleinement son avatar, la présence sociale, qui donne l’impression de réellement interagir avec d’autres personnes, et la non-médiation, qui fait disparaître la perception du média comme intermédiaire. Ces caractéristiques transforment l’apprentissage en une expérience plus réaliste et stimulante, ouvrant la voie à des pratiques pédagogiques novatrices et efficaces.
Dans votre livre, vous mentionnez que le Métavers pourrait se redéployer de manière plus discrète, dans des usages plus modestes et pragmatiques. Pouvez-vous donner des exemples concrets de ce que cela pourrait signifier pour les enseignants et les étudiants ?
Je prône une vision plus discrète et pragmatique du métavers pour favoriser son adoption. Aujourd’hui, cette technologie reste souvent perçue comme “bruyante” : elle requiert des outils complexes ou coûteux et suscite un battage médiatique excessif. Pour être adoptée à grande échelle, elle doit devenir plus fluide et s’intégrer harmonieusement dans notre quotidien. Le métavers devrait s’appuyer sur des technologies déjà répandues, comme le smartphone et la réalité augmentée, pour offrir des points d’entrée accessibles au grand public.
L’enrichissement de l’environnement via la caméra du téléphone constitue une piste prometteuse. On observe déjà des utilisations comme l’animation de devantures de magasins, les expériences de virtual unboxing ou encore les surfaces augmentées. La société Distance, fondée par les créateurs de Varjo, développe une technologie de réalité augmentée capable de transformer n’importe quelle surface transparente, comme les pare-brises de voitures ou d’avions, en une interface. Ces solutions, simples et concrètes, favorisent une adoption progressive en limitant les obstacles techniques.
Pour des usages plus immersifs, la réalité virtuelle présente un potentiel important dans l’éducation et la formation. Grâce aux infrastructures déjà disponibles dans certains établissements, centres de formation et institutions culturelles, un nombre croissant d’apprenants peut accéder à des expériences immersives de qualité pour développer des compétences.
Existe-t-il des applications pédagogiques intéressantes du Métavers que vous avez observées dans le milieu académique ? Par exemple, la création de salles de classe virtuelles, la simulation de situations professionnelles, etc.
La création d’une simple salle de classe virtuelle dans le métavers me semble une approche limitée, car elle ne tire pas pleinement parti du potentiel de cette technologie. Son véritable intérêt réside dans des scénarios immersifs, tels que la mise en situation pour un entretien d’embauche, la négociation ou la gestion de crises, qui offrent des expériences pédagogiques réalistes et aident l’apprenant à développer des compétences pratiques. Le métavers peut également sensibiliser à l’inclusion en permettant à un participant de se glisser dans la peau d’une autre personne, renforçant ainsi la compréhension de l’empathie et de la diversité. Dans des domaines techniques ou industriels, il autorise la manipulation de machines ou de jumeaux numériques dans des environnements simulés, rendant possibles des apprentissages pratiques sans coûts ni risques réels. Cette technologie facilite également la préparation à des interventions en zones dangereuses, qui deviennent accessibles et sécurisées. De l’éducation au commerce, en passant par la santé et l’industrie, cette capacité à proposer des expériences immersives, adaptées et engageantes confère au métavers un potentiel considérable pour transformer durablement l’enseignement et la formation.
Les technologies et leur rôle dans notre quotidien
Vous évoquez la lente intégration du Métavers dans notre quotidien numérique. Cette approche s’applique-t-elle également aux autres nouvelles technologies dans le milieu éducatif, comme l'IA, la réalité augmentée ou la réalité virtuelle ?
Le métavers connaît une vitesse d’adoption nettement plus lente que l’IA, dont la progression a été fulgurante. Ces deux domaines ne s’opposent cependant pas, mais se complètent. L’émergence de l’intelligence artificielle et sa rapide démocratisation accélèrent le développement des outils immersifs et métaversiques, grâce à des avancées comme le text-to-3D, le text-to-video ou encore le text-to-virtual-space, qui facilitent la création d’environnements virtuels.
L’arrivée imminente de lunettes de réalité augmentée, moins intrusives que les casques de réalité virtuelle, marque une nouvelle étape. Ces dispositifs simplifient l’interaction avec l’IA, sans passer par un écran ou des interfaces complexes. Les Ray-Ban Meta, par exemple, illustrent cette intégration fluide et discrète des technologies immersives, annonçant ce que j’appelle le « web immersif ». Les lunettes que je portais déjà peuvent désormais analyser mon environnement, dialoguer avec moi et me fournir des informations contextuelles en temps réel grâce à l’IA. Demain, elles pourront enrichir ma vision de l’environnement.
Nous sommes aujourd’hui dans une phase de consolidation. Contrairement à l’IA, la lente adoption du métavers offre l’opportunité de mieux comprendre ses enjeux avant une généralisation massive. C’est précisément sur ces questions que mon ouvrage se penche, afin de cerner les défis et les perspectives de cette transition.
Comment envisagez-vous l’avenir du Métavers, et plus globalement des nouvelles technologies, dans l’enseignement supérieur ? Pourraient-elles jouer un rôle majeur dans la transformation des pratiques pédagogiques dans les prochaines années ?
L’usage conjoint de l’intelligence artificielle et du métavers permet déjà de simuler des situations professionnelles complexes de manière crédible, tout en offrant un retour d’expérience en temps réel. Vivre une expérience est bien plus marquant qu’une étude de cas sur papier. Nous disposons ici d’un outil qui, progressivement, prendra une place en complément des cours traditionnels, en introduisant une nouvelle manière d’aborder les travaux pratiques.
Toutefois, je constate que plus les outils numériques d’échange et d’apprentissage se développent, plus nous valorisons le temps passé en présentiel et l’interaction directe. Aucune technologie ne peut remplacer ce besoin fondamental de l’humain de se confronter à un pair en face à face. L’apprentissage accompagné devient alors d’autant plus précieux qu’il se pose comme une alternative au milieu de multiples possibilités numériques.
Même si l’adoption du métavers s’accélère et se généralise pour les raisons évoquées, il restera un outil complémentaire, enrichissant mais non substitutif. Les formes ancestrales de l’apprentissage, fondées sur la présence humaine, conserveront leur rôle central dans le processus éducatif, car elles répondent à des besoins que la technologie, aussi immersive soit-elle, ne peut entièrement combler.
Conclusion
Quel est le message principal que vous souhaitez transmettre aux lecteurs concernant notre rapport aux nouvelles technologies ?
Le message que je souhaite transmettre est clair : nous ne sommes plus de simples utilisateurs de la technologie, mais des co-constructeurs. Cette évolution apparaît dans l’économie de la création, largement adoptée par des métavers comme The Sandbox, Decentraland ou Horizon Worlds, qui se présentent comme des toiles vierges à enrichir et à transformer. L’intelligence artificielle et la blockchain rendent la création plus accessible grâce à des mécanismes numériques transparents et fiables. Elles ouvrent également la voie à une gouvernance partagée, où chacun peut participer aux décisions stratégiques de l’outil, renforçant ainsi l’idée d’un écosystème véritablement participatif (comme en témoigne The Sandbox DAO). Ce rapport renouvelé aux technologies nous place au cœur de l’innovation et de la construction numériques. Si ce thème vous intéresse, je vous invite à découvrir mon ouvrage, où j’explore en détail ces transformations et leurs implications pour l’avenir.
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